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  • lundi 8 septembre 2025

    Vacances 2025 (2ᵉ partie) Transitions, Résilience, Humanité.

    “Entre l'éloignement des proches et les défis professionnels, la vie nous enseigne la patience et la tendresse face à l'inéluctable.”

    Notre vie lausannoise s'organise doucement. Nous venons de traverser notre deuxième nuit de séparation depuis le début de notre vie commune. Dimanche soir dernier ainsi qu'hier soir, comme cela est désormais le cas chaque semaine, j’ai conduit Chloé à la gare de Genève pour prendre son TGV. Son père l’y attendra à son arrivée à Paris, où elle passera la nuit dans le cocon familial afin d'être à l'heure pour son travail le lundi matin. Elle rentrera le lundi soir, ou j’irai la rechercher à Genève pour son retour. Le reste de la semaine, elle sera en télétravail, un mode de vie que Chloé avait particulièrement apprécié lorsque nous vivions à Lille.

    De mon côté, j’entre dans le monde des soins en tant qu’interne en pédiatrie, spécialisée en Médecine Générale (MG). L’hôpital, neuf et prometteur, abrite une équipe chaleureuse qui m’a accueillie avec bienveillance. Une semaine chargée en émotions. Lundi dernier, j'ai reçu mes passes et mes codes d’accès, symboles d’une confiance nouvelle. La direction m'avait également demandé de décorer mon bureau, car oui, ici, les internes ont un bureau ! 

    Je ne suis pas simplement interne, mais médecin interne non diplômé. Cela ne change en rien mes fonctions, certains trouvent le titre plus gratifiant grâce au titre de médecin. D'un autre côté, l'appellation "non diplômé" a un aspect négatif. Je n'aime pas l'idée de mettre la charrue avant les bœufs. Je suis doctorante en médecine, donc interne également, mais je ne suis pas médecin. Je me sens moins à l'aise avec le titre de médecin interne non diplômé, j'ai une impression d'usurpation. De plus, cela crée une confusion, car les patients m'appellent "docteur", ce qui n'est pas le cas. Non je n'aime vraiment pas.

    Cette première semaine m’a permis de réaliser que je passe plus de temps devant l'ordinateur qu'avec les patients. Une grande partie de mon activité sur l’ordinateur consiste à consulter et à saisir des données dans le dossier médical informatisé des patients. C'est un constat triste, car ici aussi, tout n'est pas parfait. Ce poste, qui s’étendra sur une année, me permet d'évoluer à mon rythme et d'établir des liens de confiance non seulement avec les enfants, mais aussi avec leurs familles. C'est un aspect que je n'aurais jamais imaginé voir ainsi encouragé par un directeur d'hôpital. Surtout, ces mots résonnent en moi : « prendre mon temps ».

    En France, nous étions constamment dans la tourmente, tels des soldats en pleine bataille, la précipitation nous entourant comme un brouillard épais. Chaque jour, les heures s’égrenaient dans une médecine de guerre, où il fallait composer avec les moyens du bord et faire preuve d’inventivité face à l’urgence en raison du manque de matériel et de lits. Cela était assez traumatisant, et, dans de telles conditions, il était difficile d'exercer une bonne médecine. Pourtant, devoir quitter la France de mes aïeux parce que celle de Macron n'a pas su nourrir ses enfants praticiens en médecine est difficile à vivre. Mais, il faut penser à sa famille, à la vie que nous désirons vivre, et on finit par partir pour soi. Je n'ai pas fui mon pays, mais un régime et une politique, ceux de Macron.

    Ici, en revanche, nous nous trouvons aux antipodes de cette réalité chaotique, dans un espace où le temps semble s’être arrêté, où l’attention se pose avec la sérénité d’un monde apaisé. Cette invitation à la patience résonne comme un appel à une humanité essentielle dans notre profession. Le directeur me dit souhaiter une homogénéité au sein de son équipe. La journée commence par une réunion avec le chef du service pédiatrique, où flotte une ambiance légère et agréable. Il se passe des choses : il n'y a pas que de la médecine, mais également des échanges humains et culturels. Les journées sont passionnantes, mais aussi harassantes. Maintenant, tout est beau, neuf et rose. Attendons six mois avant de pouvoir tirer un bilan objectif.

    Cette semaine s'est bien déroulée, sans anicroche particulière, même s'il va me falloir un petit temps d'adaptation avec les logiciels et l'administration. Je travaille du lundi au vendredi inclus. Mes horaires pour ce mois-ci de 8 h à 18 h avec 30 minutes de repas. Je serai également tenue d’effectuer une garde de deux jours (week-end) par mois, une obligation modeste au regard de la profondeur de mes anciennes conditions françaises. Mon premier week-end de garde sera le 20 et 21 septembre. Le mois prochain, ma semaine s'étirera de 16 h 30 à 23 h 30, entrecoupée de trente minutes de repas et d'une heure de pause.

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    Les suites cauchemardesques de mes vacances :

    Arrivée à Hossegor, chez mes grands-parents, avec l’illusion naïve que le temps s’écoulerait là, entre leurs murs, dans la douceur des repas partagés et la fraîcheur de la piscine. Mais la piscine était vide, tout comme le silence de leur présence désormais affaiblie. Mes grands-parents, à l’approche de leur centenaire (95 et 97 ans), paraissaient si diminués, comme si le poids des ans avait déjà usé leur énergie et leur autonomie. Je suis consciente qu’ils ont atteint un âge avancé, mais je n’aurais jamais cru assister à une telle évolution — si rapide — de leur santé. Le danger d’infections ou de maladies graves plane constamment, prêt à frapper à tout moment. Pourtant, lors de notre PACS, il y a deux ans, ils semblaient encore en pleine possession de leurs moyens, malgré leur âge, et avaient fait le voyage de Hossegor à Paris. Il me semble essentiel d’être à leurs côtés, de les encourager à bouger, à ne pas sombrer dans l’immobilité, car je devine que cette inactivité ne peut que précipiter leur perte d’autonomie. Lorsque cela arrivera, nous serons proches du syndrome de glissement de la personne âgée. Hélas, la distance me sépare de plus de sept cents kilomètres, et je me sens impuissante face à cette situation. J’ai l’intention d’en parler à mes parents, en espérant qu’ils comprendront l’urgence et la nécessité de venir les voir, et de les aider avant qu’il ne soit trop tard.

    Je devais porter une lourde vérité et en cacher une autre : Charles-Alban (mon oncle), malade. Cette réalité, trop crue, ne devait pas troubler leur fragile équilibre. Je leur mentis donc, leur affirmant qu’ils étaient en pleine forme tous les deux, mais ils avaient beaucoup de travail, avec ce poids d’un amour amer qui doit parfois dissimuler la vérité. Ma plus grande crainte était que Chloé, dans sa spontanéité débordante, laisse échapper ce secret. C’était là, chaque jour, ma bataille silencieuse, une vigilance constante.

    Ils ignoraient tout de leurs états de santé, et lorsque grand-maman apprit cette bonne nouvelle, elle m’offrit un sourire éclairé d’une tendresse que rien ne pouvait éteindre. Grand-papa, avec sa sagesse fatiguée, avoua que cet enfant, malgré le mystère qu’il représentait, inspirait au fond de lui une bonté certaine.

    Fidèle à sa nature généreuse et spontanée, Chloé déclara sans hésiter : « Vous viendrez nous voir à Lausanne quand nous serons installées, nous aurons une chambre d’amis pour vous ! » Grand-maman sourit à nouveau, mais cette fois avec un éclat teinté de mélancolie. Plus tard, elle me glissa discrètement, dans un souffle, qu’elle trouvait Chloé « bien mignonne, mais c’est encore une enfant ». Ce commentaire, tendre et lucide, incarnait parfaitement la complicité silencieuse qui nous unissait, mêlant affection et sagesse.

    Chaque jour, pour leur ménager repos et tranquillité, nous sortions, nous passions toutes nos matinées dehors, nos repas et une bonne partie des après-midi, mesurant notre présence comme une charge à ne pas alourdir. Ils nous confièrent les clés, un gage d’affection et de confiance. Chloé proposa que nous prenions une chambre à l’hôtel. Je lui expliquai : « Nous n'irions pas à l’hôtel, parce qu’ils sont heureux de nous recevoir, même si ce n’est pas parfait. »

    Le mercredi, mes grands-parents avaient tenu à réserver une table au Relais de la Poste. Vers dix heures trente, je me retrouvai en pleine négociation avec Chloé, qui, fidèle à son naturel désinvolte, trouvait que sa tenue un peu chiffonnée et ses cheveux en bataille avaient du charme. « C’est parfait pour un buffet de la poste, et je n’ai pas besoin de douche, je suis propre ! » lança-t-elle avec ce sourire insolent qui me fait à la fois craquer et hurler intérieurement. (Non mais, je rêve !)

    Je dus hausser le ton, lui rappeler qu’il s’agissait d’un repas important, d’un geste d’honneur envers mes grands-parents, et que, oui, on pouvait très bien se doucher avant, se changer, pour respecter cette occasion. Nous avons dû prendre une douche ensemble, afin qu'elle capitule, puis nous nous habillâmes entièrement, prêtes à affronter ce moment avec le soin qu’il méritait.

    Je ne comprendrai jamais pourquoi je dois parfois me mettre en colère pour lui faire comprendre ce qui me paraît être l’évidence même — la simple bienséance. (Franchement, parfois j’ai envie de la gronder comme une enfant, mais je ne suis pas sa nanou !)

    Nos grands-parents s’étaient aussi habillés pour l’occasion, et leur élégance touchante me fendit le cœur. Chloé, fidèle à sa joie communicative, prit quelques photos, immortalisant ces instants précieux. (Pour une fois, j’étais contente de poser devant son appareil !)

    À notre arrivée, la surprise fut grande. Le Relais de la Poste, en apparence simple, se révéla être un établissement deux étoiles Michelin, un lieu de gravité solennelle. Le repas, une véritable évocation de la cuisine du Sud-Ouest, s’apparentait presque à une œuvre d’art, tant la finesse et la richesse de ses saveurs semblaient transcendantes. Pourtant, mes grands-parents, à cause de la fatigue, y goûtaient peu, leur corps alourdi par l’épuisement. Pour ma part, je portais en moi le poids des mauvaises nouvelles venues d’Amérique, et, désormais, mon inquiétude pour mes grands-parents s’ajoutait à ce fardeau. Je n’avais pas beaucoup d’appétit, mon esprit absorbé par la tourmente. Je fis cependant un effort, me contraignant à faire bonne figure, à dissimuler mon trouble derrière un semblant de calme.

    Lors du repas, mes grands-parents, dont le regard portait cette lente et inévitable évidence que la fin approche, nous annoncèrent leur intention de nous faire un très gros virement. (Peu importe de quel côté de l’Atlantique je me trouve, j’entends cette même chanson aux paroles désagréables !) Là encore, comme si cette somme pouvait, d’une manière ou d’une autre, apaiser la charge silencieuse du départ imminent ou atténuer la lourdeur du chagrin que l’on devine sans nom. Ils savent, profondément, que leur heure est proche, et cette conscience semble imprégner chaque mot, chaque geste, comme un poids invisible. Je viens de comprendre que, dans ma famille, lorsque l’ombre de la mort se fait plus présente, il semble de bon ton de recourir à cette dernière démarche financière, comme si l’argent pouvait effacer l’écho de cette séparation inévitable ou laisser une trace tangible dans le temps. Mais moi, je n’éprouve aucun affect avec l'argent, aucun attachement à ces gesticulations matérielles ; elles me paraissent vaines, dénuées de sens face à l’inéluctable.

    De plus, il s’avère que je ne suis pas la plus maladroite en affaires, et de surcroît, j’ai mes parents, ma tante, mon oncle, et désormais eux deux. Bon, je ne suis pas Elon Musk, mais je crois que Chloé et moi devrions pouvoir nous en sortir. Une certitude, je ne suis pas une Tanguy ni un boomerang. Sans compter que Chloé et moi ne dépensons pas l’argent à la légère, sauf peut-être pour notre dernier achat : cette voiture, que je trouve un peu trop ostentatoire dans un monde déjà préoccupé par l’apparence. Cela dit, ce n'est pas non plus une Bugatti Chiron. De toute façon, même si Chloé souhaitait une telle folie, je n’accepterais pas. Cela serait vraiment trop à l’opposé de mes valeurs.

    Il est vrai que, personnellement, l’argent ne constitue pas le prisme principal de mon existence. Je n'ai aucun affect pour lui. Je n’ai pas besoin de mettre en scène notre richesse pour affirmer mon statut social : pour moi, la véritable noblesse consiste à vouloir aider l’autre, à tendre la main sans attendre de contrepartie. Cela me paraît bien plus digne, bien plus vrai.

    À croire que les valeurs que j’ai reçues, celles forgées par mon éducation, ne trouvent plus leur place dans ce monde qui s’accroche à ses illusions. Peut-être cherchent-ils, à travers cette générosité apparente, à laisser une empreinte, à s’accrocher à quelque chose qui leur survivra — comme une ultime tentative de résistance face à l’inexorable qui s’avance doucement, mais sûrement.

    Le chef de cuisine, ami proche de mes grands-parents, vint en fin de repas nous offrir le champagne et célébrer avec nous ce moment devenu rare. Pour eux, cette sortie était un feu d’artifice avant le crépuscule.

    Sur le chemin du retour, nous les aidâmes à retrouver le repos, dans le doux silence de leur maison.

    Le lendemain, nos adieux furent empreints d’une émotion profonde, lourde de silence et de tendresse. Grand-maman, le cœur serré, m’approcha et murmura, avec douceur : « Tu es devenue une très belle jeune femme, portée par de si belles valeurs. Nous sommes immensément fiers de toi. » À ses mots s’ajouta le regard tendre de grand-papa, qui me dit d’une voix empreinte d’affection : « J’espère être là lors de votre prochaine visite, mais je peux maintenant partir, car je sais que j’ai la plus merveilleuse des petites filles. » Ces paroles, si simples mais si pleines de sens, portaient en elles le poids de l’inévitable. Afin de faire bonne figure face à l’adversité, j’ai endossé le masque de la fille enjouée, conservant un optimisme fébrile et un enthousiasme apparent, même si, au fond de moi, la souffrance me consumait et que j’avais énormément de mal à contenir mes larmes. Les jours à venir s’annoncent difficiles, marqués par la fragilité, les luttes silencieuses et ces combats que nous allons devoir affronter.

    Une fois encore, le vol en avion cette fois pour Nice s'avéra vingt-cinq minutes lourdes et pénibles, une épreuve et pour une fois pas due à easyJet. Quelques larmes, trahissant une fragilité, émergèrent de mes yeux. Je n'avais guère le désir de poursuivre ce périple, qui ne semblait être qu'un prétexte à recevoir de funestes nouvelles. Bien que ma formation médicale m'incite à conserver une distance face à la mortalité, je demeure étrangère à la douleur du deuil, à cette souffrance profonde que provoque la perte d'un être cher. Mes pensées, ainsi que mes sentiments, se dirigent vers ce chemin sinistre, angoissant. Une multitude d’émotions m’envahit, submergée par des vagues de chagrin qui surgissent en des instants tout à fait imprévus.

    A Bientôt,

    Chlo & Til


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