Le samedi, à l’aube d’une nouvelle journée, nous nous sommes levées à neuf heures, comme si le temps lui-même avait choisi de nous offrir le doux parfum d'une grâce matinée. Avec une tendresse discrète, nous avons quitté notre refuge du week-end, amoureuses et complices, direction le café Madeleine pour notre petit-déjeuner, lieu que nous avions découvert ensemble lors de notre passage à Lille.
A midi, j’avais pris soin de réserver une table au restaurant Le Cerisier, spécialiste de la truffe, que ma chérie affectionne tant. Bien que je doive avouer que cet ingrédient n’est pas un de mes délices… Ce champignon, avec sa richesse olfactive et gustative, monopolise la saveur des plats, reléguant d'autres nuances au rang de souvenirs lointains… J'ai suivi ce choix par amour, consciente que le bonheur de Chloé surpasserait largement mes propres préférences. Est-ce cela, l'amour ? Ces gestes de partage, la beauté de ces sacrifices où le bonheur de l'autre devient une priorité ? Tout cela éclate de vérité et de sens dans le quotidien de nos vies entrelacées…
Nous vous avons déjà parlé de cet établissement où l'excellence règne, tant dans l'art culinaire que dans la qualité du service, témoignant d'un standing rare. A notre grande surprise, nous avons été accueillies comme des habituées, et la maison nous a offert deux coupes de champagne en guise d'apéritif, célébrant notre présence avec une attention délicate. Le repas, fidèle à sa renommée, s'est avéré être un véritable enchantement, chaque plat dévoilant une harmonie subtile des saveurs.
Après ce festin, une rencontre nous attendait à 14 h 30 sur la grand'place avec les parents d'Emily (Andrée et Philippe), pour accueillir le petit Léo pour l'après-midi. Comme lors de nos journées passées avec Elena, nous sommes parties explorer les rayonnages d'une librairie, déterminées à offrir à Léo trois livres, guidées par les recommandations éclairées de la libraire, experte en littérature jeunesse. Ainsi, nous avons acquis « Chien bleu », « La Couleur des émotions » et « Roule galette », trois œuvres qui, nous l'espérons, émerveilleront et stimuleront son imagination. Poursuivant notre quête d'émerveillement, nous avons ensuite emprunté le chemin de l'achat de matériel artistique, un parcours enchanteur où les crayons de couleur éclatants et les albums à colorier s'offraient à nous. Pour un enfant de cinq ans, ces objets représentent non seulement une créativité à éveiller, mais aussi un espace de liberté où son imaginaire peut s’épanouir sans limites.
Pas besoin de chercher un carrousel, la fête foraine battait son plein au cœur de la ville ! Comme avec Elena, nous avons pris dix tickets, convaincues que trois tours suffiraient à rendre notre journée pleine de joie. Les tickets restants seraient offerts aux parents de Léo, une promesse délicieuse de futures escapades partagées. Chaque tour de manège était un festin de joie, et Léo était aux anges. Un rituel s'était installé, pour notre plus grand bonheur, où nous devions saluer Léo d'un geste de la main à chaque passage. Chloé et moi avons convenu d’un commun accord de le saluer à tour de rôle. Un petit jeu s'était instauré entre nous : « Ce coup-là, c'est à toi, veinarde ! »
Cependant, comme cela arrive souvent, une ombre vint assombrir notre tableau. A la fin des trois tours, un caprice démesuré s’abattit sur nous tel un orage d'été soudain et intrusif. Léo, prisonnier de son désir, s'accrochait désespérément au manège, laissant éclater ses sanglots et cris, résonnant comme l'écho d'une révolte désespérée. Observant Léo en proie à une tempête de larmes, Chloé ressentit un élan instinctif de le prendre dans ses bras, de le réconforter et de l’aider à descendre de ce manège. Dans un geste brusque et d'un coup de pied, il la repoussa, hurlant sa révolte face à cette tendresse qu'il rejetait, comme si la douleur de son caprice était plus forte que l'amour que Chloé lui offrait. Je ne pouvais pas rester là, immobile et impassible.
Dans cette situation délicate, nous décidâmes (enfin surtout moi !) d'appliquer la méthode Zabeth : rester droites, conserver notre calme, adopter une attitude froide et le vouvoyer. Je le fis descendre du carrousel, le tirant avec douceur mais fermeté. « Mon jeune ami, pensez-vous que cela soit une attitude digne ? » Il pleurait, frappant des pieds, offrant un spectacle pathétique. Nous restâmes immobiles à côté du carrousel, attendant patiemment qu'il se ressaisisse. Après quelques minutes, il finit par se redresser. C'est alors qu'il me lança : « J'veux mes livres ! » Je lui rétorquai avec détermination : « Je vous prierais de ne pas vous adresser à moi de la sorte. Rien ne vous sera accordé tant que vous n'aurez pas présenté vos excuses en me disant : Je vous prie de bien vouloir me pardonner. » Il répondit obstinément : « Non, j'veux mes livres ! » Je feignis de ne pas l’entendre, laissant planer un silence glacial.
Malgré cet incident que nous aurions souhaité éviter, nous prîmes le chemin d’un jardin d'enfants. Chloé, avec une candeur désarmante, m'interrogea sur le moment où je restituerai à Léo ses livres. Je lui répondis, sans détour, que cela dépendrait de lui. Dès qu'il aurait le courage de s'excuser, ses livres seraient à lui, et si tel n'était pas le cas, je rentrerais à Paris avec ses ouvrages dans mon sac ! Chloé, désapprouvant ma fermeté, me considérait comme intransigeante ; pour défendre Léo, elle évoqua l'image d'un pauvre petit chat, arguant que ce n'était qu'un caprice d'enfant et qu'elle ne voyait pas cela comme une affaire si grave. Je lui opposai, avec une ferme conviction, que l'homme doit saisir l'importance de ses actions, car chacune engendre des répercussions inéluctables. Plus il parviendra rapidement à cette prise de conscience, plus il sera en mesure de vivre en accord avec lui-même et avec le monde qui l'entoure. Réponse de Chloé : « Mais il n’a que 5 ans ! » Ma réponse : « L'âge n'excuse pas tout. C'est peut-être ce laxisme qui fait qu'aujourd'hui tant de gens manquent d'éducation… » Soudain, je devenais la méchante, la paria que tous fuyaient. Quelle ironie ! Me voilà réduite à ce rôle détestable alors que cette leçon s'imposait !
Il est indéniable que l'éducation des enfants représente une aventure aussi enrichissante que complexe, un chemin parsemé d'obstacles et de réflexions profondes. Bien que nous ne soyons pas encore plongées dans cette odyssée, les subtilités de nos héritages parentaux (Zabeth pour moi) commencent déjà à s'imposer, façonnant nos comportements et nos pensées. Chloé, avec ses propres idées et convictions, s'affirme comme une figure unique, tout comme moi. Nos approches éducatives ne se hiérarchisent pas ; elles reflètent seulement nos parcours respectifs.
Cependant, nous avons constaté que cette quête d'harmonie dans nos perspectives engendre inévitablement des tensions palpables entre nous, comme si nos convictions s'affrontaient dans un duel silencieux. Nos échanges, nourris de conceptions éducatives diamétralement opposées, se sont intensifiés, jusqu'à ce que Chloé, dans un geste de retrait, se mure dans le silence, rendant toute communication vaine. Ce mutisme, tel un mur infranchissable, nous sépare et nous laisse face à un gouffre d'incompréhension. Même si je connais parfaitement son mode de fonctionnement, son autisme m'agace parfois, mais puis-je réellement lui en vouloir ?
Il n'en restait pas moins qu’au cours de notre échange, mes yeux ne quittaient pas Léo. Je me rapprochai de lui, qui, insouciant, jouait, rêvant de grimper comme les grands sur un filet. Cependant, une appréhension l’envahissait, peut-être un peu d'acrophobie. Pour le rassurer, sans le toucher, j’enveloppai délicatement son corps de mes mains, lui offrant ainsi un cocon de sécurité. Nous parvînmes à grimper un tout petit peu plus haut. Chloé, fidèle à elle-même dans l'épreuve, se retranche dans l’univers de son art, telle une fuite face aux incertitudes du monde. Ainsi absorbée dans son dessin (l'illustration de cet article), elle semblait oublier, comme si cela lui était devenu secondaire, son rôle de surveillante…
A la sortie du jardin d'enfants, Léo saisit la main de Chloé tout en me lançant un regard inquisitif. Je demeurai silencieuse, laissant les mots flotter dans l'air. Nous prîmes ensuite un taxi, direction la maternité, pour retrouver le reste de la famille.
Une fois arrivés dans la chambre, Léo me demanda de lui répéter « les mots qui faut dire ». Je lui soufflai doucement : « Je vous prie de bien vouloir me pardonner. » Il répéta la phrase avec sérieux, puis, dans un élan affectueux, vint m’embrasser. Je lui tendis ses livres, qu'il était impatient de montrer à sa maman et à son papa. A cet instant, Emily et Quentin, intrigués, me questionnèrent sur les événements. Je leur répondis d'une voix douce et protectrice : « Rien de bien grave, c’est une simple affaire entre lui et moi. » Il réussit à réitérer sa demande d'excuses selon la même formule à Chloé. A son tour, Chloé l'embrassa et me fit également don d'un baiser. Avec un sourire, je lâchai alors : « Si chacun d'entre vous me manifeste ainsi son amour, je pourrais bien m'installer ici ! » Dans un élan de légèreté, et peut-être en guise de facétie, le père d'Emily s'approcha pour déposer un baiser léger sur mon front. Nous étions alors tous emportés par un éclat de rire contagieux, une joie qui illuminait à nouveau notre couple.
Les parents d'Emily nous ont invités à partager le dîner sous leur toit ce soir. La maman a concocté une carbonnade flamande, un plat au nom curieux qui interpelle et intrigue. Quelle étrange dénomination pour une promesse de saveurs !
Emily, arborant un grand sourire, nous interrogea, amusée, sur le peu de honte que nous éprouvions à parler de ce délice alors qu'elle devait se contenter de ses plateaux-repas de maternité pendant encore deux jours. Son père, réagissant promptement, lui répondit : « Non, et au vu de la quantité que tu ingères, cela nous en fera d'autant plus ! »
J'ai donc proposé, avec détermination, que nous acceptions leur invitation à condition qu'ils consentent à ce que nous apportions le vin. Lorsque je demandai conseil sur le type de vin qui se marierait parfaitement avec ce plat des plus inconnus, le père d'Emily me conseilla un Bourgogne. A ce moment-là, je me sentis aussi heureuse qu'une punaise de lit au salon du matelas !
En quittant la maternité, Quentin et moi avions décidé de nous éloigner du groupe pour nous lancer dans une quête : dénicher un bon vin de Bourgogne pour le repas de ce soir. Nos pas nous conduisirent au caviste « Les Vins d’Aurélien », où Aurélien, un homme d’une sympathie désarmante, nous présenta son dernier carton de six bouteilles du Domaine des Perdrix : un Nuits-Saint-Georges 1er cru Domaine Taupenot-Merme 2022. Bien que cet achat ne fût pas une révélation éclatante, il offrait la promesse d'une qualité éprouvée. Même si nous sommes très loin de la qualité d'un Domaine Leroy ou d'un Henri Gouges. J’ai donc dû convaincre Quentin, qui pensait que trois bouteilles suffiraient amplement. Mais moi, j'avais fait mon petit calcul tout simple : nous étions sept à table et, en ne servant que cinq à six verres par bouteille, la situation devenait précaire si chacun se laissait emporter par la convivialité. Quant aux bouteilles en surplus, j’avais prévu de les offrir aux parents d'Emily en remerciement pour leur invitation.
Pendant ce temps, le reste de la bande avait trouvé refuge chez les parents d'Emily. Chloé, avec sa patience légendaire lorsqu'il s'agit de dessin, tentait d’initier Léo aux subtilités du coloriage et de l’estompage. Armée d'un simple morceau de papier toilette, elle s’efforçait de lui enseigner l'art de gommer les traits qu'il avait esquissés avec ses crayons. Pour sa démonstration, elle avait choisi le visage d'une petite fille dans l'un des cahiers que nous avions achetés plus tôt. En ajoutant des lumières et des ombres, modulant avec une multitude de teintes. Je ne sais pas si elle était consciente qu'il ne suffisait pas d'un instant pour maîtriser ces nuances ; Parfois, il faut deux décennies pour atteindre un tel niveau de précision, à condition d'être aussi douée qu'elle. Pour ma part, une vie ne suffira pas…
Pour Léo, l’exercice s’avérait d’une complexité vertigineuse. Eviter de déborder avec son crayon représentait déjà un défi monumental. Alors, estomper… cela devenait un véritable casse-tête ! Il avait même dû sacrifier un demi-rouleau de papier toilette pour réaliser son chef-d'œuvre. A notre arrivée, Chloé s’efforçait de récupérer l'œuvre de Léo avec une gomme, mais pourquoi s’en étonner ? Qui me répétait quelques heures auparavant : « Mais il n’a que cinq ans ! » En toute bienveillance, j'ai choisi de ne pas trop insister sur cette réalité…
Chloé a entrepris, avec une rigueur à la mesure de son talent artistique, de reprendre l’intégralité du coloriage de Léo. Après une heure de dévotion laborieuse, elle se tourne vers moi, l'œil brillant d’une fierté innocente : « Tu as vu ce qu’a fait Léo, n’est-ce pas admirable ? » A ces mots, je ne pus m’empêcher de répondre par un acquiescement chargé de respect avec mon sourcil levé : « Oui, c'est véritablement magnifique. Ce qui me frappe le plus, c’est que, à cinq ans, il parvient déjà à poser des couleurs d'une justesse remarquable, chacune étant en rapport avec les autres dans une danse subtile. Il exploite, avec une précocité étonnante, les contrastes, insufflant une dynamique à son œuvre. Un prodige, ce petit, qui semble avoir saisi, instinctivement, les tensions visuelles subtiles. Et ne devrions-nous pas également évoquer son sens inné de la lumière et des ombres, des éléments qu'il équilibre avec une telle finesse, contribuant ainsi à cette harmonie visuelle si précieuse ? »
Je lui rappelle alors que nous avons eu la même formation en histoire de l’art avec Blanche, ainsi que deux années de cours de dessin, même si mes talents en dessin sont plutôt limités. Je suis encore capable de distinguer quelques détails obscurcis par la main impétueuse de madame Chloé, car, après tout, ce ne sont que de menus ajustements qu’elle a appliqués. En guise de réponse, et pour la seconde fois ce week-end, elle me tire la langue, en symbole d’une révolte délicieuse contre mes remarques.
Peu après, la famille se rassemble pour admirer cette œuvre. Le grand-père, avec des yeux pétillants d’admiration, se déclare en faveur d’un encadrement, tant il trouve cette création belle. Dans ce petit monde, l’art se fait fenêtre sur l’innocence et l’émerveillement, transcendant même les frontières du talent et de l’expérience.
En attendant que Léo devienne le nouveau Michel-Ange ou Raphaël, j’apprends qu’il y aura deux couverts de plus : les parents de Quentin, qui sont en route. Du coup, la question se pose : pour les bouteilles, qui avait raison finalement ? Je pose juste la question…
Ce week-end, un événement d'une portée essentielle s’apprête à redéfinir le cours de mon existence : la célébration de mon anniversaire. Ce moment, chargé de significations multiples, suscite en moi un tourbillon de réflexions sur le passage inexorable du temps et les contours de mon identité en évolution. En parallèle, je vous révélerai la suite de nos péripéties lilloises...
A vous tous, je vous souhaite une excellente semaine.
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