“Dans le tumulte du quotidien, le rêve d'un nouveau chez-soi révèle la beauté cachée des défis à surmonter.”
Nous sommes retournées à notre quotidien parisien, un rythme familier qui nous enveloppe comme une seconde peau. Chloé s'est plongée dans ses créations, jonglant avec la gestion de son équipe comme une chef d'orchestre face à ses musiciens. Nous poursuivons la mise en carton de nos affaires, pour le déménagement qui arrive à grands pas. J'avoue ne pas encore savoir comment nous allons faire pour être dans les temps.
En ce qui concerne mon travail, je prends le temps de récupérer après des nuits de garde à l'hôpital et ce planning chargé de Roland-Garros qui ne me laissait pas beaucoup de temps pour dormir. Légalement, je ne devrais pas faire autant de gardes de nuit, mais pour arranger le service, j'ai accepté. De plus, comme me l'a fait remarquer l'une des médecins, je remplis pleinement le rôle d'une interne plutôt que celui d'une élève de fin de 6ᵉ année. A ce stade de l'année, sachant que j'ai déjà réussi mon diplôme et qu'il ne me reste plus que cette unité de valeur pour l'obtention de mon diplôme final, elle considère la chose comme entendue. La différence restera donc le titre et le salaire. D'après ses dires, je ne vais rien faire de plus avec mon statut d'interne de 1re année ; elle m'assure que je suis déjà au point. La seule chose qui va évoluer au fil des années d'internat est la prise de responsabilités; pour le reste, rien ne change. De mon point de vue, il est plus confortable de donner son avis avec un pouce levé et d'avoir la confirmation d'un médecin diplômé. Alors que nous atteignons le milieu de ce mois de juin, l'échéance se précise pour moi : je croise les doigts, espérant ardemment obtenir ma dernière unité de valeur et enfin accéder à ce statut tant désiré d'interne.

En attendant cette transformation, nous avons bien suivi le plan et pris le train pour Lausanne. A l'opposé de l’effervescence de Roland-Garros, où Chloé, avide de soutenir sa star, était nerveuse à l’idée de chaque match tandis que je demeurais tranquille, ici, les rôles se sont inversés. Je sentais le poids de l’angoisse grandir en moi, trouvant ce voyage en TGV interminable. Mon impatience grandissait, tel un ressort tendu, et je brûlais de déposer nos affaires à l’hôtel pour enfin découvrir notre futur appartement, symbole de nos rêves à bâtir.
Nous sommes à 15 minutes à pied entre l'hotel Beau Rivage Palace et notre appartement. A notre arrivée dans ce nouveau quartier, une joyeuse excitation nous habite : nous découvrons avec ravissement que nous sommes à l'intersection du secteur piéton et d'une grande artère. La rue qui s'étend devant nous, animée par le va-et-vient des passants, est empreinte d'une douce convivialité, ponctuée de petits commerces qui lui confèrent un charme indéniable avec ses divers commerces.
Je voulais que Chloé vous présente notre immeuble par le biais d’une photo. Chloé m'a grondée, me lançant avec fermeté : « Ça ne va pas la tête ! Nous n’allons pas prendre le risque de révéler notre adresse ! ». Elle a totalement raison, nous devons rester prudentes et préserver notre intimité. Son élan protecteur manifestait une lucidité face aux dangers du monde extérieur qui m’a agréablement surprise. Il est vrai que sur ce point j'étais un peu naïve, voire idiote. Je vais donc vous le décrire…
Notre immeuble haussmannien, majestueux et élégant, se dresse devant nous, témoin d'une époque révolue où l'architecture se mêlait à l'art de vivre. La façade, ornée de détails sculptés, racontant des histoires oubliées. A l'intérieur, le hall d'entrée respire l'histoire, comme des souvenirs figés dans le temps.
Les trois premiers étages de notre immeuble sont consacrés aux affaires d'une banque, un espace qui résonne des échanges mercantiles et des préoccupations matérielles. En revanche, notre appartement, perché au quatrième étage, nous offre le refuge d'une intimité précieuse, un sanctuaire loin de l'agitation du monde.
Au-dessus de nous réside une seule propriétaire, une vieille dame au passé de pharmacienne, qui semble veiller sur l'immeuble avec une bienveillance discrète. Comme nous, elle occupe l’intégralité de son étage, se faisant l’écho des vies qui l’entourent. Nous avons eu le plaisir de croiser son regard dans le hall d'entrée, où, dans un élan de curiosité, elle nous a interrogés sur ce que nous cherchions, comme si chaque visiteur était une pièce du puzzle de son quotidien. C'est alors que Chloé et moi nous sommes présentées comme les nouvelles propriétaires de l'étage en dessous de chez elle.
Je me suis empressée de lui présenter mes excuses pour les désagréments causés par les travaux, ce bruit et cette poussière qui, comme des intrus, ont dû s'immiscer dans son quotidien. Elle, charmante dame de soixante et onze ans, a su répondre à mes préoccupations par un sourire chaleureux. Elle se réjouit d'apprendre que l'une de ses voisines sera bientôt médecin, ajoutant avec un clin d'œil que cela est un petit plus précieux.
Elle nous a également fait part de son désir de nous accueillir un jour dans son appartement, où elle se ferait un plaisir de montrer à Chloé certains bijoux de famille, témoins silencieux d'une histoire empreinte de souvenirs. Elle exprima également sa joie d'avoir une artiste dans la haute joaillerie française comme voisine, déclarant qu'elle ne pouvait rêver de meilleures voisines. Quant à nous, une fois installées, nous ne manquerons pas de répondre à son invitation, Ce qui va nous permettre de tisser des liens qui, nous l'espérons, deviendront agréables.
Pour la première fois, j’insère la clé dans l’ascenseur, un accès réservé, tant pour notre étage que pour celui de notre voisine du dessus, qui utilise une clé différente – j’en ai fait l'expérience en essayant la mienne sur son étage (sourire amusé). Ce passage mécanique nous mène vers notre nouveau chez-nous. Jusqu'à la porte qui doit-être changée pour une porte blindée, désir de Mère, et lorsque Mère veut... Tout semblait parfait, et un enchantement partagé illuminait nos visages, témoins de notre espoir et de notre impatience.
Ah, mais voilà que la catastrophe se dévoile dans toute sa splendeur ! Pas besoin de ce rendre à Genève et se mettre sous le jet d'eau pour prendre une douche froide.
L’appartement dans son intégralité, comme le saisit si bien Chloé dans ses photographies, ressemble à un véritable champ de ruines. Ici, rien ne se tient debout, même pas une goutte d’eau pour m’apporter un peu de réconfort ! Même l'électricité est abscente. Heureusement, l'appartement est assez clair pour que nous puissions admirer ce désastre dans toute sa gloire.
C'est une catastrophe, la cata complète, et l'on se croirait plongé dans un film d'horreur, mais sans le suspense qui pourrait au moins nous tenir en haleine ! Les détritus et les émondisses s’amoncellent, tels une décharge publique, et l'accès à certaines pièces se révèle aussi difficile que de pénétrer dans des zones interdites de notre avenir. Ce qui est accessible, hélas, est dans un état si déplorable que je peine à me projeter dans cet espace devenu étranger. L'angoisse m'étreint alors, comme une étreinte glaciale, me torturant de questions sur le temps que nécessiteront ces travaux pour redonner à cet endroit son essence vitale. Le poids de cette incertitude s'accumule sur mon esprit, transformant l'espoir initial en une préoccupation lancinante, un véritable fardeau dont je me serais bien passé.
J'ai alors pris la décision d'appeler Arnaud, notre architecte, maître d'œuvre de ce projet. Je cherchais à comprendre l'origine de ce retard troublant dans l’avancement des travaux de l'appartement. Pourquoi, après tant de semaines, les transformations semblaient-elles si peu progresser ? Arnaud, dans sa voix posée, s'efforça de me rassurer, affirmant que tout était à-peu- près dans les délais impartis, même s'il se peut qu il y ai un petit décalage. Il m'expliqua que l'abattage et la démolition exigeaient une durée bien plus étendue que celle nécessaire à la reconstruction. Il ne se gêna pas pour me rapeler qu'il m'avait déconseillé de venir sur le chantier, conscient qu'à la vue de l’ampleur des travaux, il me serait difficile de me projeter dans notre futur appartement, ne pouvant que constater ce présent chaotique. Pourtant, d'après lui, tout va bien et nous devrions avoir notre chez-nous fin août, comme convenu.
Le garage, avec sa mezzanine, nécessite une attention particulière. Un bon coup de nettoyage s'impose, ainsi qu'une couche de peinture rafraîchissante et quelques réparations éparpillées ici et là. Cependant, dans l'ensemble, il est en état convenable et nous offrira l'espace nécessaire pour déposer nos modestes affaires lors de notre déménagement prévu pour le samedi 28 juin 2025. C'est précisément pour cette raison que j'ai tenu à venir sur place cette semaine. Il est essentiel pour moi de rassembler tous les éléments pour prendre des décisions éclairées lorsque nous serons ici avec nos cartons et toutes nos petites affaires.
Au cours de ce week-end, nous avons cherché refuge dans les plaisirs simples, tentant en vain d’éclipser ces images troublantes qui hantaient notre esprit. Ensemble, nous avons arpenté les rives du lac, nous adonnant à nos runnings matinaux. Ce fut un moment de douceur, bien que notre allure se soit davantage apparentée à une flânerie qu’à une véritable course. Je dois avouer que l’idée de partager ce moment avec autrui me déplaît généralement, car il se mue alors en un duel où l’intensité de l’effort se heurte à mon désir de liberté, cette quête d’un espace mental où je peux ordonner mes pensées en toute solitude.
A midi, nous nous sommes laissées tenter par du street-food, ce plaisir éphémère qui réjouit le palais, et le soir venu, nous avons trouvé un petit restaurant qui exhalait les senteurs d’une cuisine authentique, nourrissant davantage nos corps que nos esprits. C’est dans ce cadre familier que nous avons échangé sur nos aspirations futures, partageant nos rêves tout en savourant la chaleur de l’instant.
Il est révélateur de constater qu’au sein de ce monde où tant de personnes se complaisent à rêver leur vie, Chloé, quant à elle, semble être prisonnière d'une réalité qui l’empêche de se projeter. En mon absence, elle se retrouve dans l’incapacité de dessiner des horizons lointains. Sa difficulté à envisager des objectifs à long terme découle de sa manière unique d’appréhender la vie, sa navigation à travers les méandres du changement étant marquée par son handicap si particulier. Cependant, ne nous y trompons pas : malgré ces entraves, Chloé possède une acuité d’esprit remarquable, une créativité débordante et excelle dans les domaines qui l’animent. Elle incarne ainsi ce paradoxe poignant d’une intelligence vive, piégée dans une structure qui limite sa capacité à embrasser pleinement l’avenir.
Une semaine se profile, celle de la fin des cartons, et elle nous attend, bien que nous ayons déjà accompli un chemin considérable. De leur côté, mes parents ont également fait des progrès notables. Nous nous apprêtons à vivre une semaine de camping dans l’appartement, une expérience à la fois troublante et révélatrice. Quitter cet espace qui a marqué la première partie de ma vie, de notre vie, n’est pas chose aisée ; les souvenirs affluent, les rires, les moments de joies partagés avec Zabeth et les instants de complicité avec Chloé, lorsque nous n’étions que deux chipies insouciantes. Pourtant, il nous faut célébrer cette transition, car elle témoigne de l’émergence d’une vie d’adulte qui s’ouvre devant nous. Cette nouvelle étape va être parsemée de défis, de joies à découvrir et d’accomplissements à réaliser.
A vous tous, je vous souhaite une excellente semaine.